droit d’amendement
Intervention le 17 février 2009
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aux termes de l’article 27 de la Constitution, « le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». À un droit de vote « personnel » doit normalement correspondre un droit d’expression sur son vote du même ordre. C’est de la suppression de ce droit qu’il est ici question, sous prétexte qu’il peut en être fait mauvais usage.
Ainsi, l’« obstruction » de la procédure parlementaire consécutive à cette inflation verbale serait, nous dit-on, à ranger au rang des « pathologies » du parlementarisme. Certes, mais ne prenons pas le symptôme pour la maladie !
L’obstruction n’est pas une maladie facilement curable par des mesures réglementaires, elle est le symptôme d’une maladie bien plus profonde du parlementarisme français : la réduction comme peau de chagrin du pouvoir dont le Parlement est, en principe, détenteur.
Le parlementarisme « rationalisé » s’est progressivement fait parlementarisme « lyophilisé ». Que l’on me cite une seule disposition non secondaire que le Parlement a pu imposer à l’exécutif ! L’arsenal dissuasif de celui-ci et ses possibilités de contournement sont immenses. Il y a les moyens classiques constitutionnels – je vous en fais grâce – et les autres.
Je citerai deux exemples particulièrement clairs du peu de cas que l’exécutif fait de la prétendue « volonté » du législateur.
Tout récemment, il y eut l’injonction du Président de la République au conseil d’administration de France Télévisions de se passer de recettes publicitaires, alors même que le Parlement en débattait.
Il n’y a pas si longtemps, Jacques Chirac décidait de ne pas appliquer la loi instituant le CPE, alors même qu’elle avait été votée avec l’enthousiasme et la lucidité que l’on sait par sa majorité, et qu’il l’avait promulguée. Avouez qu’il est difficile de faire mieux !
On comprend que, dans ces conditions, pour le Gouvernement et ses zélotes, la discussion parlementaire ne soit que du temps perdu. Il faut certes sauver les apparences, mais pas plus.
L’efficacité du travail parlementaire – entendez par là la correction des fautes de syntaxe, de codification et l’élagage des pousses les plus calamiteuses des projets de loi – serait à ce prix, d’autant que l’essentiel du travail serait désormais fait en commission.
Privé du pouvoir de peser réellement sur le cours des choses par l’exercice régulier des prérogatives qui lui sont théoriquement reconnues, que peut faire le Parlement sinon exercer son pouvoir tribunicien, le seul qui lui reste ? Là est l’origine de l’obstruction parlementaire : une manière de se faire entendre du Gouvernement en prenant l’opinion à témoin, seule chose à laquelle celui-ci est parfois sensible.
Réduire le pouvoir d’expression des parlementaires sans changer la situation en profondeur est un remède pire que le mal, mais dans la logique d’un système qui n’a plus de parlementaire que le nom. Sa dénomination n’existe pas encore, mais l’expression qui le désigne le moins mal serait, selon moi, celle de « régime consulaire ».
Empêcher les représentants du peuple de parler a toujours été, comme l’a rappelé Louis Mermaz, la tentation des régimes consulaires.
Pour la constitution de l’an VIII, « le Corps législatif fait la loi en statuant par bulletin secret, et sans aucune discussion de la part de ses membres ». Que voilà des constituants efficaces ! Puisque, disait Sieyès, « la confiance doit venir d’en bas et le pouvoir d’en haut », inutile de parler pour manifester sa confiance.
Cette volonté de réduire autant que faire se peut le Parlement à un rassemblement de muets est la suite logique d’une révision constitutionnelle censée renforcer ses pouvoirs alors qu’elle marque une étape de plus vers un régime de type consulaire. En reconnaissant un droit de message au Président de la République, celle-ci consacre son rôle de chef de Gouvernement sans responsabilité, mais avec le droit de dissolution. Détenteur de la totalité du pouvoir exécutif, il dispose aussi, à travers ses ministres, d’un réel pouvoir de conduite du processus législatif et, in fine, de l’arme absolue : la dissolution.
Votre tentative de nous faire taire, monsieur le secrétaire d’État, me fait penser à ces sourds qui ne supportent pas que d’autres puissent parler : n’entendant pas ce qu’ils disent, ils en déduisent qu’ils ne disent rien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Explication de vote sur amendement
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l’amendement n° 109 rectifié.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le secrétaire d'État, nous établissons un nouvel équilibre, dites-vous. Je sens toutefois que vous regrettez que ce nouvel équilibre ne soit pas un peu plus déséquilibré…
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Pas du tout !
M. Pierre-Yves Collombat. Le seul point positif de la révision constitutionnelle, c’est que le Parlement débattra désormais en séance publique du texte adopté par la commission.
Lors de l’examen du texte en commission, le ministre sera présent et fera valoir ses arguments ; il aura tout loisir de convaincre. Qu’apportera sa présence au moment du vote ? N’est-ce pas seulement lui offrir un moyen de pression ?
Puisqu’une part essentielle du travail parlementaire se fera en commission, il est tout à fait normal que le Gouvernement soit présent et intervienne. Sinon, cette révision constitutionnelle aura été inutile et il n’est qu’à continuer d’examiner le texte du Gouvernement en séance publique.
Le débat aura donc eu lieu, le Gouvernement aura développé tous ses arguments. Je trouve cet acharnement à vouloir maintenir le quatrième alinéa de l'article assez suspect.
Pour ma part, je voterai la suppression de l’alinéa ou une nouvelle rédaction, comme il est proposé. |