LA VIE EN ROSE ET BLANC
(Editorial Lettre des Elus de la Gauche varoise n°39 juillet-août-sept 2007)
On connaissait les « victoires à la Pyrrhus », qui annonçaient une défaite finale. Grâce à Ségolène Royal il y a désormais les « défaites à la Pyrrhus » qui sont des victoires.
Pour un esprit simple, les dernières élections présidentielles signent une défaite claire et nette du PS et de la gauche toute entière.
Une défaite impensable. Au moment de la désignation des candidats, les sondages créditaient Ségolène ROYAL de 52% des suffrages.
Une défaite impossible, compte tenu de l’image inquiétante du candidat UMP pour une bonne partie de l’opinion.
Une défaite étrange vu le bilan calamiteux des gouvernements du précédent septennat auxquels Nicolas Sarkozy a participé de manière ininterrompue, aux premières loges : l’Intérieur et les Finances. En cinq ans, les violences les plus graves, celles aux personnes ont augmenté. Les méthodes de pompier pyromane du Ministre de l’intérieur ont facilité l’embrasement des banlieues, obligeant le Premier Ministre à décréter l’état d’urgence, ce qui n’avait pas été fait en mai 68. En cinq ans, le nombre de chômeurs et de personnes en situation précaire a augmenté, la crise du logement s’est approfondie, les inégalités se sont creusées et le CPE a mis des centaines de milliers de manifestants dans les rues, obligeant le Président de la République à demander le retrait du texte.
Rarement le bilan d’un quinquennat n’a été aussi pitoyable. Rarement l’opposition n’en aura aussi peu tiré profit.
Car cette élection imperdable a été perdue et bien perdue.
Mis à part 2002 où une erreur tactique avait été fatale à Lionel Jospin, avec 46,9%, c’est le plus faible score d’un candidat socialiste au second tour des présidentielles depuis trente ans. L’échec était inscrit dans les résultats du premier tour. Avec un total de 36,4% des voix, jamais la gauche n’avait été aussi basse, là aussi depuis trente ans. Elle rassemblait 42,9% des voix en 2002, 40,5% en 1995 et 50,6% en 1981.
C’est à gauche, au premier tour, comme on le verra, que l’élection a été perdue.
Et pourtant …
A l’ambiance de fête aux alentours de la rue de Solferino, ce soir de 6 mai 2007, à l’air séraphique et irradiant le bonheur de la candidate, c’est une victoire. Elle le dit d’ailleurs : « J’assumerai la responsabilité qui m'incombe désormais. Mon engagement et ma vigilance seront sans faille au service de l'idéal qui nous a rassemblé et nous rassemble et qui va, j'en suis sûre, nous rassembler demain pour d'autres victoires ».
« Nous rassembler pour d’autres victoires », cette défaite sans précédent est donc une victoire, une victoire « de l’immense rassemblement populaire vibrant de ferveur » qui a accompagné la candidate tout au long de la campagne et permis de rassembler « près de 17 millions d’électeurs », score inégalé pour un candidat socialiste dans une élection présidentielle.
Oubliés que malgré tout, le candidat de l’UMP a obtenu 2,2 millions de voix de plus que la candidate du PS, soit 6,12% des suffrages exprimés, malgré une ferveur probablement moindre mais non moins probablement, une adhésion supérieure.
Si l’on en croit un sondage réalisé huit jours avant le second tour (Sofres Le Monde), 60% des électeurs sûrs de voter Sarkozy entendent manifester leur adhésion au candidat et à son programme, contre 42% seulement de ceux qui penchent pour Ségolène Royal. Inversement, 56% de ceux qui font le choix de la candidate socialiste … entendent d’abord manifester leur refus du candidat UMP, contre 36% de votes Sarkozy par refus de Ségolène Royal.
Ce qui explique à la fois que celle-ci ait fait un meilleur score que Lionel Jospin au premier tour des présidentielles de 1995 et de 2002, aussi bien que François Mitterrand en 1981, et le pire résultat des candidats socialistes au second tour de ces trente dernières années.
Le « vote utile » de gauche a joué en sa faveur dès le premier tour, avec l’effet pervers de siphonner les réserves dont elle aurait eu grand besoin au second tour. Jamais, depuis 1981, même en 1988, le total des voix de la gauche non socialiste n’avait été aussi bas : 10,5%.
Sous des apparences trompeuses, la défaite était scellée dès le premier tour. Au second tour, Nicolas Sarkozy avec 7,5 millions de voix et Ségolène Royal avec 7,3 millions se partageront équitablement les suffrages qui ne se sont pas portés sur eux au premier tour. D’où l’urgence à se préoccuper de ce que sont devenus les électeurs de gauche et pourquoi ils se sont ainsi volatilisés.
Des meetings de Ségolène Royal montait certainement « une immense ferveur », comme elle aimait à le dire ; il n’en demeure pas moins que l’essentiel de ceux qui ont voté pour elle l’ont d’abord fait par crainte de son adversaire, vote de rejet majoritairement présent chez les ouvriers et employés, les jeunes de 18-24 ans.
Celui qui a rassemblé son camp et au-delà, c’est Nicolas Sarkozy, pas Ségolène Royal.
Son score est le meilleur des candidats de droite, après Charles de Gaulle en 1965 (55,2%), malgré le conflit ouvert avec les chiraquiens dont l’essentiel des troupes s’est rallié.
Il a réussi à siphonner une bonne partie de l’électorat d’extrême droite (FN et de Villieriste) dès le premier tour, et à s’assurer le soutien de ce qui en restait au second.
Surtout, il a su capter une partie non négligeable de l’électorat centriste, malgré la présence d’un candidat UDF qui ne l’avait pas ménagé. Les terres où François Bayrou fait ses meilleurs scores du premier tour, sont aussi ceux où la progression de Nicolas Sarkozy au second, est la plus forte. Il est significatif que ce soit dans les Pyrénées-Atlantiques, fief de François Bayrou que sa progression soit la plus importante (+15,2% contre +9,3% nationalement). C’est le fruit de trente ans de compagnonnage électoral du RPR, puis de l’UMP avec les centristes qui lui doivent leurs députés, comme les législatives le confirmeront, et leurs sénateurs.
A ces électeurs du centre s’est ajoutée une frange d’électeurs de gauche. Les transferts de joueurs pré et post électoraux montrent que le terrain était prêt. Selon certains sondages, cela représenterait 8% des électeurs de Nicolas Sarkozy du second tour. (IFOP enquête du 9 au 23 mai).
A ce niveau là, on se demande ce que gauche et droite peuvent bien vouloir dire ! Mais précisément, que l’on en soit arrivé là mériterait aussi analyse.
Mais qu’importent les résultats, la démocratie et la gauche, sortent régénérées de cette épreuve !
« J'ai engagé un renouvellement profond de la vie politique, de ses méthodes et de la gauche, nous dit encore Ségolène Royal. La forte participation traduit un renouveau de notre démocratie, et notamment pour les jeunes… Vous pouvez compter sur moi pour approfondir la rénovation de la gauche et la recherche de nouvelles convergences au-delà de ses frontières actuelles. C'est la condition de nos victoires futures ».
Certes, mais la forte participation et le « renouvellement profond » de la vie politique dont on a un peu de mal à cerner les contours, ils ont plus bénéficié à la droite qu’à la gauche.
Quant à la « rénovation de la gauche et la recherche de nouvelles convergences au-delà de ses frontières actuelles », elles se résument à une improvisation de pur opportunisme électoraliste entre les deux tours.
Le problème n’est pas d’accepter ou de rejeter a priori une alliance avec les centristes, formule qui fonctionne chez un certain nombre de nos voisins européens. Il est de savoir si elle est possible en France et pourquoi faire.
Que ce soit possible, le compagnonnage électoral de trente ans de la droite et du centre, évoqué plus haut, permet d’en douter. Pour le reste, une chose est de conclure une alliance sur la base d’un programme, d’un « contrat de gouvernement » pour reprendre l’expression de Pierre Mendès France, une autre de s’allier pour conquérir le pouvoir, en ignorant à quoi on va l’employer et si la coalition est tenable. Sauf évidemment, à considérer que les buts politiques du PS ne diffèrent qu’à la marge de ceux des centristes. En tous cas, les éventuels « points de convergence » auraient mérité d’être vérifiés avant l’entre deux tours et surtout, avant de proposer que des ministres UDF prennent « toute leur place » dans cette « coalition gouvernementale ».
A quelqu’un qui célébrait sa victoire sur les Romains payée de pertes irréparables, le roi Pyrrhus aurait répondu, selon Plutarque « Encore une victoire comme celle-là et je serai complètement défait ».
On aimerait que le Parti Socialiste soit capable d’autant de lucidité que le roi d’Epire.
Pierre-Yves COLLOMBAT
Sénateur du Var
Président du Groupe des Elus de la Gauche Varoise
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