FAUT- IL SUBVENTIONNER LE NOUVEL ART POMPIER ? (février 2002)
Au sens strict, l’art pompier c’est l’art académique de la Belle époque. Art officiel des salons et de la commande publique, art qui a la faveur des bourgeois fortunés, il signe l’épuisement de la tradition classique.
« L’art contemporain qui se montre » correspond, dans son essence, à cette définition.
Art en faveur au Ministère de la culture, art préféré de ses dépendances provinciales, des institutions publiques ou privées, c’est l’art du fric, pour faire du fric et une carrière. Ce mutuel appui de l’institution et de l’argent est le coeur du système mercantile en place.
Comme l’explique pudiquement R.MOULIN (« Le marché de l’art contemporain » Le Débat janv.fev 98) : « la constitution des valeurs artistiques contemporaines s’effectue à l’articulation du champ culturel et du marché. Dans le champ culturel s’opèrent les évaluations esthétiques, dans le marché se réalisent les transactions. Alors qu’ils ont chacun leur propre système de fixation de la valeur, ces deux réseaux entretiennent des relations d’étroite interdépendance. Le prix ratifie un travail d’homologation accompli en amont du marché par les spécialistes, historiens de l’art contemporain, théoriciens et critiques d’art, conservateurs de musées, professionnels de l’art en tous genre. Cette certification de la valeur conditionne le prix… ».
Comme l’art pompier épuisait la tradition classique, « l’art contemporain qui se montre » épuise ce qu’il faut bien appeler, la tradition moderne.
R.CAILLOIS dans son célèbre article « PICASSO le liquidateur » (Le Monde 28/11/75) nous en donne la clef :
Depuis que PICASSO a rompu avec « l’art de peindre, la peinture, sinon l’art, ne s’en est pas remise. ». Les prédécesseurs de PICASSO « entendaient reproduire la nature, la rectifiant ou la forçant au besoin. Ils en accentuaient tel ou tel caractère, mais en préservant la ressemblance. PICASSO s’acharne à peindre ce que la nature ne saurait en aucun cas produire…Il disloque corps et visages de façon qu’ils ne puissent visiblement plus répondre à la moindre nécessité ou au moindre équilibre organique. »
La leçon que l’on peut tirer de CAILLOIS est que toutes les expériences de dislocation du réel, de déconstruction de l’art selon la tradition ayant été faites, force est de constater qu’aucune forme ne les ont remplacés. Tout ayant été liquidé, il conviendrait peut-être de changer de routine, de passer à autre chose que de s’acharner à briser en morceaux toujours plus fins les gravats de l’art classique et de violenter la nature qui d’ailleurs s’en moque.
Art du pouvoir et de l’argent, « l’art contemporain qui se montre » se trouve donc être l’héritier d’une modernité autrefois iconoclaste. Bénéficiaire des commodités de l’argent et des prébendes, il jouit de surcroît du prestige de l’irrévérence révolutionnaire. Le Mexique ayant inventé le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), il nous restait à installer l’Art Révolutionnaire Institutionnel (ARI) au cœur du pouvoir culturel et partout dans le pays.
Ceci rappelé, est-il utile, nécessaire, légitime qu’une collectivité comme un Conseil Général ou Régional, une commune, utilise l’argent public, via un Centre d’Art, des acquisitions ou toute autres formes de subventions directes ou indirectes, au soutien de la cote esthétique et boursière de l’ARI ?
Oui dit le pouvoir médiatique et donc les élus suivent.
« Au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt dix, explique encore R.MOULIN, le marché de l’art est entré dans la vie publique. Les grands médias ont relayé les journaux spécialisés en se faisant l’écho des booms et des krachs de l’art, donnant une visibilité plus immédiate et plus forte aux soubresauts du marché qu’aux réalisations artistiques actuelles et à l’extrême inégalité des destins d’artistes. »
Qu’importe la valeur esthétique, notion qui d’ailleurs n’a plus aucun sens. Puisque tout est désormais affaire d’opinion et de cote, l’essentiel est qu’on en parle. Le fait que les média nationaux, « ceux qui donnent le ton (et) fixent le cadre dans lequel tous les autres fonctionnent » comme dit N.CHOMSKY (« Ce qui rend conventionnel les média conventionnels »), parlent de lui, signe la valeur de l’ARI. Les gazettes locales, toujours d’accord sur l’essentiel, emboîtent naturellement le pas : toute Préfecture, Sous-préfecture, Commune qui tient son rang doit dédier un temple ou au minimum quelques manifestations à la gloire de l’ARI. C’est affaire de distinction.
Seuls des élus locaux intellectuellement crasseux, microcéphales et retardataires peuvent en douter. Laisser entendre que le roi est nu, que le Saint des Saints du temple artistique pourrait bien être vide, et tout cela seulement une affaire de gros sous, passe immédiatement pour provocation blasphématoire. Les seules provocations licites sont celles que labellisent les centres d’art, les commandes du Ministère de la Culture, les média et le marché.
La messe est donc généralement rapidement dite et les décideurs, rarement convaincus, suivent ceux qui décident à leur place, « la mort dans l’âme »; mais comme disait le général de LARMINAT, « à vrai dire, c’est encore là que la mort est le moins désagréable à supporter ». (« Chroniques irrévérencieuses ».) |