Toulon, le 2 novembre 2006
AUX ADHERENTS DE LA FEDERATION
DU PARTI SOCIALISTE DU VAR
Cher(e) camarade,
Jusqu’à ce jour, je suis resté en retrait, tant lors de l’élaboration du projet socialiste que depuis le début du processus de désignation de notre candidat(e) à l’élection présidentielle.
Ceux qui prennent la peine de me lire savent que ce n’était ni indifférence, ni panne d’idées.
C’est que, faute d’avoir été précédé d’un examen critique de nos pratiques gouvernementales passées, ce par quoi il aurait fallu commencer, le projet socialiste ne pouvait être une réponse suffisante à la sévère mise en garde que nous ont adressée, par deux fois, les Français, en avril 2002 et mai 2005.
Que penser, notamment, du traitement routinier qu’il réserve aux politiques économiques, financières et européennes qui pourtant commandent tout ?
On m’expliqua alors que ce n’était pas grave puisque le projet socialiste n’était pas un programme de gouvernement.
Les propositions des candidats, malgré des différences non négligeables entre elles, ne modifièrent guère la donne. Sous la pression médiatique, il ne s’agit bientôt plus de désigner qui serait le plus capable de conduire les affaires de l’Etat, mais le (la) camarade le (la) plus sympathique de la classe.
Même si j’en étais affligé, cette vacuité ne me parut pas prêter à conséquence, jusqu’à la dernière invention de Ségolène Royal : mettre sous surveillance l’action des élus par des « jurys citoyens tirés au sort ».
Elu depuis trente ans, maire vingt deux ans, j’ai peine à admettre qu’une candidate à la présidence de la République soit plus ignorante des conditions d’exercice de la démocratie réelle que le moindre conseiller municipal d’une commune de cinquante habitants.
« Pas dans mon jardin », « tous égaux, mais moi un peu plus que les autres », font aussi partie des maximes « citoyennes » les mieux partagées.
Pour ne parler que de mon expérience, sous surveillance des jurys royaux, je ne suis pas certain que Figanières disposerait aujourd’hui d’une maison de retraite ou de logements sociaux, mais absolument persuadé qu’il n’y aurait pas de collège, d’abord perçu comme source de désordre et d’insécurité. Tout ce qui dérange impose, à un moment ou un autre, de forcer le destin.
La légitimité des élus ne procède pas du hasard, mais du suffrage universel qui leur confie un mandat à durée déterminée. En démocratie représentative, le jury populaire c’est le corps électoral. Mieux vaudrait essayer de tenir compte de ses verdicts, par exemple ceux rendus en avril 2002 et mai 2005, que d’essayer de les contourner.
En effet, au lieu d’être un « plus » démocratique, la soi disant « démocratie » participative affaiblit encore un peu plus le politique, seule force encore capable de s’opposer aux oligarchies économiques et bureaucratiques qui accaparent l’essentiel du pouvoir réel.
Les origines de la crise de la démocratie représentative ne sont pas essentiellement là où on croit les trouver, mais d’abord dans :
· Le rôle des médias qui formatent réflexion individuelle et débat collectif, sélectionnent les questions légitimes et fixent comment elles doivent être posées ; qui filtrent souverainement la communication entre les élus et les citoyens. Le « juré citoyen » tiré au sort n’est pas un atome d’objectivité informée. Il a des intérêts personnels, regarde le Journal TV et lit parfois Var Matin. Les jurys citoyens, futurs sujets de téléréalité, marquent une étape de plus dans la transformation de la vie politique en show médiatique.
· L’apathie et le manque de démocratie au sein des assemblées délibérantes. Les modes de désignation, la sous représentation des minorités, le manque de moyens d’information et de contrôle de celles-ci, rendent le débat et le contrôle des exécutifs largement illusoire. Faute d’avoir lieu à l’intérieur des assemblées, le débat se transporte, médiatisé, donc biaisé, à l’extérieur ou disparaît. Etrangement cela laisse de marbre nos experts ès démocratie.
· La difficulté de plus en plus grande à identifier et donc sanctionner, les vrais responsables des situations ou des décisions. Là encore, la démocratie participative n’est pas une réponse. A la limite, les élus parfaitement « participatifs » ne décident plus de rien mais laissent les citoyens qu’ils sondent et consultent régulièrement, le faire à leur place. Responsables de rien, ils ne sauraient être renvoyés. Excellents gestionnaires de l’opinion publique, échangeant, si nécessaire, leurs chaises pour cause de cumul des mandats, ils peuvent ainsi, collectivement, demeurer éternellement au pouvoir.
Conclusion : la démocratie participative est un remède qui tuera le malade qu’elle prétend sauver.
On me dira, peut-être, que c’est faire beaucoup de bruit pour rien. Les « jurys citoyens » ne sont qu’une proposition parmi beaucoup d’autres de Ségolène Royal ; une proposition, comme on me l’a susurré un sénateur royaliste de premier rang, qui ne sera pas suivie d’effet. On a tort.
Qu’un aspirant à la Présidence de la République, ignore aussi superbement les principes essentiels de notre démocratie et ses conditions réelles d’exercice, laisse rêveur sur sa capacité à assumer la direction de l’Etat.
S’il s’agissait seulement d’un propos de campagne, n’y changerait rien, au contraire.
Malgré toutes les critiques, pour certaines légitimes, qu’on peut leur adresser, que serait notre pays sans les quelques 500 000 élus qui le gèrent, pour beaucoup bénévolement ou presque, et en constituent la colonne vertébrale, autant politique que démocratique ?
Les apprentis sorcier(e)s feraient bien d’y regarder à deux fois avant de remettre en cause la légitimité qu’ils tiennent du suffrage universel.
Accepte, cher(e) camarade, cette expression de mes amitiés socialistes.
Pierre-Yves COLLOMBAT
Conseiller général,
Président du Groupe de la Gauche Varoise
Sénateur du Var.