Par extension
(Editorial Lettre du Sénat n° 13 oct-nov-dec.2007)
L’avant dernière « Lettre du Sénat » a évoqué l’étrange statut juridique du chef de l’État français qui le rend, non seulement pénalement mais civilement intouchable durant son mandat. Autrement dit, ni son épouse ne peut aller devant la justice pour lui demander le divorce, ni son propriétaire pour lui réclamer des loyers impayés, ni la victime de l’imprudence d’un de ses enfants mineurs pour obtenir des dommages et intérêts.
La « Lettre du Sénat » suivante constatait,elle, que le pouvoir législatif réel était passé aux mains des gouvernements que les assemblées ne contrôlaient plus vraiment.
L’actualité récente confirme que ces dérives vont s’amplifiant.
L’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, a étendu, de fait, le statut pénal et juridique du chef de l’État à son épouse et à ses « envoyés personnels », catégorie juridique encore mal définie mais promise à un bel avenir.
Cécilia Sarkozy ayant joué les premiers rôles dans les négociations avec la Libye pour la libération des otages bulgares et palestiniens, le groupe socialiste de l’assemblée nationale a demandé son audition par la commission parlementaire chargée de faire la lumière sur les conditions de cette libération et sur ses éventuelles contreparties dans les domaines nucléaire et de l’armement.
Réponse du porte parole de l’Élysée, le 23 août 2007 : il serait « inconstitutionnel » et constituerait une « entorse au principe de séparation des pouvoirs » que Nicolas Sarkozy « puisse répondre à une commission d’enquête parlementaire [ce que personne n’a demandé]…Par extension, Mme Sarkozy, puisqu’elle était son envoyée personnelle, tombe sous la même règle. »
Dans un entretien à l’Est républicain du 4 septembre 2007, la première Dame de France a précisé qu’elle était en Libye « en tant, que femme, en tant que mère, sans forcément [s’] attarder sur la complexité des relations internationales, mais avec la ferme intention de sauver des vies…On ne m’empêchera jamais d’essayer d’aider ou de soulager la misère du monde, dans quelque pays que ce soit ».
Elle a donc refusé d’être entendue par la commission parlementaire. « Je crois que ce n’est pas ma place. » a-t-elle ajouté. En toute simplicité.
Selon l’ordonnance du 17 novembre 1958, toute personne dont l’audition est jugée utile « est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée. ». Le refus est passible d’un emprisonnement de deux ans et de 7.500 euros d’amende.
Visiblement, pas plus que le refus de Gilles Ménage, alors directeur du cabinet du Président Mitterrand, convoqué à propos de l’hospitalisation du dirigeant palestinien Georges Habache, celui de Cécilia Sarkozy ne semble gêner quelqu’un.
Que pèse la dignité du Parlement devant l’élan d’un cœur de mère qui saigne ?
On attend maintenant la suite qui sera donnée à l’assignation en justice d’un des fils (majeur) du Président, suite à un accrochage routier et sa fuite. (Le Monde 05 /09/ 07)
La séparation des pouvoirs s’opposera-t-elle à ce que la justice juge le fils du chef de l’État ?
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