Les Républiques sont-elles solubles dans le ridicule ? - Août 2004
Début 2003, on s’en doutait déjà un peu. Le Sénat mitonnait alors la modification de la loi électorale qu’il s’appliquerait à lui-même, un an plus tard. Les couloirs du palais du Luxembourg bruissaient. La grande question n’était pas de savoir si la loi en discussion modifierait le rapport gauche/droite au sein de la Haute Assemblée, il resterait évidemment largement en faveur de la droite. Elle était d’apprécier son impact sur la prochaine élection à la Présidence du Sénat. Qui gagnerait au change : l’actuel titulaire ou le Premier Ministre, redevenu sénateur de la Vienne en 2004, s’il décidait de reprendre à Christian PONCELET le siège soufflé à René MONORY, l’emblématique sénateur de la Vienne, quelques années auparavant ? Une affaire d’honneur, auraient dit les « Tontons flingueurs ».
Les spéculations allaient donc bon train et les ordinateurs tournaient.
Le démenti ne se fit pas attendre : Jean Pierre RAFFARIN n’avait aucune intention d’être candidat aux élections sénatoriales de septembre 2004. Il gouvernait.
Fin juillet 2004 pourtant, Matignon révéla une candidature virtuelle. Fin août, l’insoutenable suspens prenait fin : le Premier Ministre était bien candidat dans la Vienne.
Les mauvaises langues se délièrent. A gauche on reprocha au chef du Gouvernement de négliger les problèmes des français; au centre de donner l’impression de prendre une « assurance tous risques avec un billet de train de sénateur. ». Pures calomnies.
D’abord la légalité est parfaitement respectée. Après l’élection, dit le Premier Ministre « il ne se passera pas autre chose que ce qui est prévu par les textes ». Si les textes interdisent, en effet, le cumul des fonctions de parlementaire et de membre du Gouvernement, ils laissent la possibilité à un Ministre de participer aux travaux parlementaires, donc à l’élection du Président de l’assemblée où il siège, le premier mois de son élection. L’esprit de la Constitution est certes un peu bousculé mais elle a l’habitude.
Ensuite, si Jean Pierre RAFFARIN est candidat au Sénat, il n’y siègera pas. Ses responsabilités gouvernementales n’en seront donc pas affectées: « Actuellement, dans ce qui est ma mission, je n’envisage pas d’interrompre mes responsabilités gouvernementales pour aller siéger au Sénat » (Var Matin 21/08/04). Dans un délai d’un mois son suppléant pourra le remplacer. Il pourra démissionner à son tour, le moment venu, ouvrant ainsi la voie à une élection partielle.
La réalité vraie, c’est que Jean Pierre RAFFARIN est simplement candidat « par fidélité à la Vienne et aussi par nécessité de proximité…ça fait du bien qu’un Premier Ministre soit sur le terrain, à l’écoute de ses concitoyens ».Un tel effort de proximité, même tous les neuf ans, est méritoire.
Il revenait cependant au Ministre de l’Intérieur de trouver les mots les plus justes. Pour Dominique de VILLEPIN, Jean Pierre RAFFARIN « est un homme d’engagement. J’ai compris qu’il s’agissait d’une candidature de témoignage » (Le Monde 28/08/04).
En démocratie médiatique d’opinion, on n’est pas candidat à une élection pour être élu, ni même quand on l’est, pour remplir le mandat que l’électeur vient de vous confier, mais pour « témoigner ». Le progrès par rapport à la ringarde démocratie représentative saute aux yeux.
Ainsi les ténors politiques se dévouent-ils pour tracter des listes aux élections dans des Régions qu’ils abandonneront si le sort ne leur donne qu’un siége dans l’opposition. Le témoignage aura été donné, cela suffit.
Ainsi l’élection présidentielle au suffrage direct, cœur de notre système politique, s’est-elle transformée au fil des consultations en caravansérail des témoignages d’opinions. L’essentiel est de passer à la télévision pour délivrer son message, pas de postuler à la direction des affaires du pays. Résultat : seize candidats au premier tour en 2002, avec les conséquences que l’on sait. Dans de telles conditions le deuxième tour ne permet plus, ni de rassembler les grandes familles d’opinions, ni de trancher les débats essentiels, d’ailleurs soigneusement contournés par les candidats.
Interrogé sur l’image laissée par la IV°République, Raymond ARON, au soir de sa vie, livre des conclusions qui pourraient bien valoir pour la Cinquième :
« Rétrospectivement le bilan n’est pas tellement négatif, en dehors des guerres coloniales et de quelque chose d’autre qui malheureusement ou heureusement est grave. Ce régime était un peu ridicule pour le monde étranger et pour les Français eux-mêmes. Les Français ne respectaient pas la IV°République et un peuple qui ne respecte pas ses institutions, c’est tout de même un mal profond. » (« Raymond ARON spectateur engagé », entretien avec D Wolton et JL Missika)
Un peuple qui ne respecte pas l’esprit de ses institutions, c’est effectivement un mal profond.
Toutes les Républiques sont solubles dans le ridicule, la Cinquième comme les autres.
|