Du parlementarisme rationalisé au parlementarisme lyophilisé - novembre 2004
Les manuels de sciences politiques définissent la V°République comme un « Parlementarisme rationalisé ». Présenté comme évitant tout à la fois les écueils du « régime d’assemblée » sur lesquels se serait brisée la république précédente, et ceux du « régime présidentiel », il est censé organiser la « collaboration des pouvoirs- un chef de l’Etat et un parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second, entre eux un partage des attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l’Etat et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont dans tout système démocratique, la rançon de la liberté. » (Michel DEBRE, Garde des Sceaux, devant le Conseil d’Etat, 27/08/58). D’où un ensemble de dispositions nombreuses, minutieuses et complexes, sur le détail desquels on ne peut revenir ici. Mentionnons l’essentiel : les mécanismes du vote bloqué (49.3), de la motion de censure, la maîtrise de l’ordre du jour des Assemblées par le Gouvernement, l’article 40 qui interdit toute proposition parlementaire ayant un impact financier, la limitation du domaine d’intervention du Parlement (séparation de la loi et du règlement) etc.
Conçu pour porter remède à un système parlementaire assis sur des majorités faibles et changeantes, la constitution de la V°République a cependant fonctionné –du fait de la loi électorale et de l’évolution des mœurs politiques-, avec des majorités solides, sinon introuvables.
Résultat : les potentialités positives du « parlementarisme rationalisés » sont aujourd’hui épuisées. Même les situations de « cohabitation », dont on aurait pu attendre un rééquilibrage des pouvoirs, une démocratie plus vivante et plus transparente, se sont avérées stériles.
Du « parlementarisme rationalisé », on est passé au « parlementarisme lyophilisé ».
Le pouvoir politique est tout entier à l’Elysée quand coïncident majorités parlementaire et présidentielle. Le régime est alors celui d’une monarchie élective constitutionnelle. Le pouvoir est partagé entre le Président et le Premier Ministre lorsqu’ils cohabitent. Le régime est une variété de dyarchie élective constitutionnelle où l’essentiel du pouvoir appartient à un Maire du Palais dont la puissance dépend de la discipline des troupes qui le soutiennent.
Le Parlement, lieu théorique de l’élaboration de la loi et du débat démocratique contradictoire se réduit, de plus en plus à une chambre d’enregistrement. Quand la majorité parlementaire est celle du Président de la République, celui-ci règne. En cas de cohabitation, la survie du Chef du Gouvernement dépendant de la discipline de ses soutiens parlementaires, le silence est quasi général dans les rangs. Loin de jouer un rôle politique d’importance égale à celui du Gouvernement ou du Président de la République, le Parlement occupe désormais une position subalterne.
Le plus fou de l’histoire c’est que plus les sessions parlementaires s’allongent, plus le Parlement travaille, moins il peut se faire entendre. L’activisme législatif est devenu pour le Gouvernement une manière de le domestiquer.
« Fermons le livre des records parlementaires…Les élus n’ont jamais autant légiféré depuis le début de la V° République » écrit l’actuel Président de l’Assemblée, Jean Louis DEBRE (fils de Michel), à l’issue de la dernière session. Réaction identique du côté du Sénat.
« Cette inflation du débat législatif se traduit par la longueur des textes que nous adoptons » souligne encore JL DEBRE qui relève que le recueil des lois « est passé de 380 pages en 1964 à 560 en 1978, 1020 en 1989, 1300 dix ans plus tard, 1600 en 2002 ». Cette année, il comporte 2350 pages !
«Depuis de nombreuses années, ajoute-t-il, nous votons sous forme de loi bon nombre de dispositions de nature réglementaire : pas une loi, en particulier, sans qu’un ministre se voit gratifier d’un comité, d’une conférence, d’une commission…et je ne me prononce pas sur leur utilité. »
Inutile de préciser que le résultat de cette inflation ce sont des textes de plus en plus inapplicables et une réduction du contrôle réel de l’activité gouvernementale.
Le législatif n’ayant aucune autonomie, la séparation des pouvoirs n’est pas assurée. Si on suit MONTESQUIEU, le pays n’a pas de constitution. Il conviendrait donc de l’en doter.
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